lun. 16 oct. 2023

Qu'est-ce que la personnalité ? (2)

caractère   personnalité   phi   ébauche  

Pourquoi la caractérologie franco-hollandaise a-t-elle été abandonnée ?

Cette question n’est pas qu’un vieux démon qui me serait personnel1.Pour mémoire, le Traité d’astrologie de Barbault évoque à maintes reprises des éléments de psychologie tirés de la caractérologie franco-hollandaise.

La personnalité n’est pas exactement le caractère (cf. cet article pour les nuances), mais les deux sont étroitement liés. Donc la question de l’abandon de la caractérologie touche la question de la personnalité.

On ne saurait pour autant parler d’abandon de la question de la personnalité tout court. La recherche sur la personnalité n’a pas cessé dans le monde anglo-saxon. Cependant, pour ce qui concerne la France, il me semble non seulement que la recherche sur ce sujet est maigre, mais que toute référence aux travaux caractérologiques précédents a été « suspendue ».

Mais avant de me demander la raison de cet « oubli », j’aimerais dire que la voie ouverte par la caractérologie franco-hollandaise est restée, à mes yeux, à ma connaissance, sans égale en valeur (dans ce qu'on trouve en psychologie de la personnalité). — La Nostalgie, Camarade ? — Peut-être (je vais y venir), mais d'abord, pour la combinaison de deux raisons :

1° la « praticité » d’un système à trois propriétés, donnant huit caractères : sa compacité fait qu'il est possible d’avoir une vision d’ensemble de la « variation humaine » ;

2° la qualité psychologique et littéraire du Traité de Le Senne : la pénétration psychologique des caractères est saisissante dans sa précision et son réalisme, étayée par la recherche biographique de Heymans.

Alors, pourquoi la caractérologie a-t-elle été abandonnée ?

je ne veux pas être mis dans une case

J’ai rencontré cet argument — le refus « instinctif » d’être « mis dans une case » — à maintes reprises contre le principe de la caractérologie2.

Oui : en faisant le test de la caractérologie de Le Senne, vous vous verrez attribuer l’un des huit caractères, a priori votre caractère, un caractère qui, sauf erreur, restera le vôtre pour la vie3. C’est le principe de la caractérologie (mais c’est aussi celui de la psychologie de la personnalité, par définition).

Quelque chose proteste en nous à l'idée de nous retrouver « dans une case », de nous voir « figés » dans un caractère4. Cela a sans doute à voir avec une certaine conception de la liberté. « Je veux être liiiibre ! », proteste en nous une (sourde) voix. Voudrions-nous rester « libres » de devenir autres que nous sommes ? « Libres » de nous réinventer, de pouvoir changer de caractère ?

Vraiment ?
Mais que penser de l’idée exactement inverse ?
Que, pour rien au monde, nous ne voudrions devenir autre que celle ou celui que nous sommes5 ?
J'ai tendance à voir dans la première expression de la « liberté » une protestation de surface, naïve, et même puérile. Certes je comprends que nous puissions « pester » contre nos défauts, nos incapacités, notre manque de volonté, que nous puissions « envier » les qualités qui nous font défaut, etc. — Mais … je me demande : ne trouve-t-on pas en même temps, logée au fond de nous, l'idée que nous tentons d’accomplir par cette vie, quelque chose qui n’appartient qu'à nous, et que nous pourrions jamais « troquer » contre autre chose ? Quand bien même ce « quelque chose » — (nous, notre personnalité, notre « démon » personnel) — nous mènerait à la faillite, à l’indigence ou au malheur.

Une partie de la « philosophie », ou de la pensée française (cela existe-t-il ?), — ou plutôt le Zeitgeist — l’esprit du temps — des années 50 à aujourd'hui — a surfé sur la réaction à l’idée qu'il puisse exister une nature humaine. Le parangon de cette réaction se trouve sans doute dans l’existentialisme sartrien, et ce qui l’a suivi. Cf. son slogan : « l’existence précède l’essence ». La tempête libérale-libertaire a soufflé contre l’enracinement caractérologique de l’individu.

On en trouve par exemple une sorte de ratification tardive dans les ouvrages de Clément Rosset, dont la thèse s’intitule sommairement L’Anti-Nature. Je n’ouvrirai pas ici de discussion en règle sur les arguments qu'on y trouve. D'ailleurs, je me demande si le vent n’a pas déjà tourné à nouveau (en sens contraire). — Ce vent de l’idéologie dominante, qui s’arrête de souffler, à un moment, sans raison apparente. Il faut dire que le vent précédent était violent, à sa manière…

Je ne laisserai pas non plus entendre qu'il n’existe pas de « problèmes » avec l’idée d’une nature humaine. L'idée d'une nature humaine peut soutenir le racisme et l’eugénisme. Mais rien n'y oblige. Et on n’interdit pas la recherche en génétique.

Mais ce que j’aimerais essayer de faire comprendre, c’est que la liberté est compatible avec le caractère. Notre liberté peut être infinie dans les bornes de notre caractère. Notre liberté n’est pas de changer de caractère, mais d’explorer ce qu'il peut donner (de meilleur). Deleuze parlait d’involution comme supérieure à l’évolution. C’est la même idée. Involuer, c’est évoluer « à l’intérieur » des bornes de nous-mêmes.

D'où l’importance du principe, et du projet d’une « caractérologie ».
D'où l’importance de la connaissance de ses déterminants profonds — de l’astrologie.

Bad News From The Stars (bonus digressif)

Deux chansons de Gainsbourg me viennent à l’esprit : La Nostalgie Camarade et l’intrigante Bad News From The Stars.
Fin du monde saturnien et entrée dans le monde urano-plutonien — de Gainsbourg à Gainsbarre… De quoi je parle ? Du passage d’un monde à un autre. Du monde saturnien, de la « contenance » — au monde urano-plutonien, — au « dévergondage ».
Les deux chansons évoquées se trouvant exactement dans la transition d’un monde à l’autre :
« Aux Armes » : la patrie, les lois, Saturne.
Et caetera — n'y pensons plus, car je suis désormais au-dessus des lois (Uranus). (« Gainsbouarre » cachant in extremis sa nudité sous le drapeau français).

Cette digression est une analogie : De Gainsbourg à Gainsbarre, de Saturne à Uranus, de Le Senne à Sartre.

Mais Uranus ne révoque pas Saturne. Pas plus que Gainsbarre Gainsbourg, etc.

Notes de bas de page:

1

Ce vieux démon a plané au dessus de mon mémoire de maîtrise il y a des décennies, et il a aussi commandé à ma petite recherche micro-statistique entre caractères et planètes.

2

Le Senne, philosophe, y répondait d’un trait profond : il demandait : « à quoi bon protester contre la caractérologie si nous ne pouvons vivre sans en faire ? » Qu'est-ce à dire, qu'on ne puisse vivre sans en faire ? On se passe très bien de caractérologie, non ? Certes, de celle de Le Senne, on s'en passe (elle a disparu du paysage intellectuel). Mais en réalité, il est très possible que chacun de nous fasse « de la caractérologie » sans le savoir, et même, ne cesse jamais d’en faire. En effet, nous ne cessons d’anticiper telles ou telles réactions de la part de ceux que nous connaissons, et de nous appuyer implicitement sur elles. C’est le principe de la caractérologie : quelque chose est stable dans la psychologie humaine, dans et malgré sa variété. Ce quelque chose, c’est le caractère. Devant ce fait, un esprit « scientifique » et curieux devait chercher à le théoriser…

3

On pourrait nuancer. 1° Le Senne utilisait déjà des propriétés additionnelles, comme la passion intellectuelle — probablement Uranus… — ou la largeur du champ de conscience — peut-être Neptune… 2° On peut être sur- ou sous- quelque chose, comme sur-actif ou sous-émotif, ce qui ajouterait autant de variantes aux huit caractères de base. 3° Et la caractérologie a évolué dans les années 50/60, notamment avec Gaston Berger, qui a ajouté notamment une polarité bien connue de chez nous : la polarité… Mars / Vénus. Bref, on peut affiner, et la caractérologie l’avait compris. Mais les huit caractères forment le squelette de la caractérologie, avec un avantage notable : la simplicité. Si vous avez 5 propriétés principales, vous avez 2 puissance 5 caracteres, c'est-à-dire 32 caractères. Déjà moins pratique, pour se repérer dans la diversité humaine.

4

Surtout si le résultat du test nous donne comme « apathique », nEnAS, ou « amorphe », nEnAP — ce qui soulève de nouvelles questions inabordables ici. Une question d’ordre moral surgit, évidemment. Mais je me suis demandé, par exemple, si les « amorphes » et les « apathiques » s’intéresseraient suffisamment à la caractérologie pour se retrouver à apposer ces étiquettes sur leur caractère ? Ou bien : comment comprendre que les propriétés puissent être comprises par Le Senne comme des puissances ?

5

J’ai oublié où j’ai rencontré la première fois cette étrange et belle idée. Peut-être dans le Traité, ou dans la littérature caractérologique, je ne sais plus.