jeu. 01 juin 2023

Qu'est-ce que la personnalité ?

caractère   personnalité   phi   ébauche  

Le Senne, philosophe français de la première moitié du XXᵉ siècle1, définissait le caractère comme squelette mental de l’homme. Comme on ne parle quasiment plus de « caractère » aujourd'hui, on peut assimiler rétrospectivement le caractère à ce qu'on appelle aujourd'hui « personnalité » (c’est légèrement abusif, comme je l’explique dans un article dédié).

Une autre manière de comprendre la personnalité serait de la comprendre comme simple produit (du test) de l’analyse de la personnalité. Cette manière de comprendre la personnalité — selon un point de vue purement langagier — pourrait être utile à notre propos, car un thème astral, c’est bien ce qu'on lit à propos de notre personnalité. Mais je ne m’en servirai pas ici.

Ce qui m’intéresse ici, c’est l’expérience que nous faisons de la personnalité. Pour prendre une première mesure de l’écart avec la théorie. Il me semble qu'il y a une distance entre ce que nous pouvons lire sur nous-mêmes dans un « rapport » de personnalité (un profil de personnalité astral par exemple), et la manière que nous aurions de décrire nous-mêmes notre personnalité, — et une distance plus importante encore avec la manière dont nous vivons notre propre personnalité.

l’expérience de la personnalité

À quoi ressemble notre expérience de notre personnalité ? Je dirais d'emblée que nous ne nous vivons nous-mêmes que marginalement comme « personnalité ».

Nous nous vivons nous-mêmes avant tout en première intention. « À la première personne », si on veut. À moins d'avoir un ego de type Alain Delon… Nous ne nous regardons pas vivre et être, nous vivons et nous sommes.

Rares sont en réalité les occasions de se demander frontalement : « quelle est ma personnalité ? »
Plus rares encore celles où l'on tenterait de décrire méthodiquement notre propre personnalité. Pour la plupart d’entre nous, nous serions bien en peine de prendre une feuille blanche et de commencer à nous décrire, par le « commencement »…

Bien sûr, nous nous posons la question de notre identité, la question métaphysique — « qui suis-je ? » — mais ce n’est pas — pas du tout — la même question. La question de la personnalité est à peine une « sous-question » de la question métaphysique2.

importance de la question

C’est pourtant une question qu’avec d’autres, j’estime cruciale, non par « narcissisme » (?)3 — au contraire… Comme disait Le Senne, il ne sert à rien de critiquer la caractérologie si nous ne pouvons vivre sans en faire. Certes, on trouve peu de manifestants dans la rue pour « réclamer » une caractérologie4. Mais certains d’entre nous en auraient besoin. Car ce que la caractérologie nous fait comprendre, ou du moins entrevoir, c’est que nous n’avons pas tous les mêmes désirs, ni les mêmes besoins. Nous ne sommes pas tous les mêmes animaux, pour reprendre la métaphore zodiacale. Et certains souffrent d’être des animaux différents. Une « caractérologie » (ou une psychologie de la personnalité) les aiderait à situer leur différence et à mieux l’accepter…
Ainsi, la réalité « caractérologique » ou différentielle, trouve des implications que je qualifie volontiers de politiques. Car des personnalités différentes ont aussi des vocations différentes, et des places dans le monde différentes. Ces implications anthropologiques sont en réalité incalculables5

notre personnalité n’est pas vraiment nôtre

Notre personnalité n’est pas vraiment nôtre. Nous sommes « embarqués » avec notre personnalité, sans l’avoir choisie, pas plus que nous avons choisi ce corps ou ce caractère. Je pense ici au « démon » — daimon — de Socrate, ou au Geworfenheit de Heidegger, qui traduit l’idée d’être embarqué — jeté, plus précisément. C’est tout notre être qui est « jeté » dans l’existence. Et notre personnalité fait partie du lot.

On peut le dire autrement : notre personnalité nous précède. Elle est là, et nous accompagnons le mouvement. Cette manière de formuler les choses nous amène à poser la question de notre liberté à l’égard de ce « démon» qu'est la personnalité , la question de notre « liberté de mouvement » par rapport à nos déterminants personnels6.

J’illustrerai mon propos en puisant dans un film qui m’a beaucoup plu et beaucoup marqué, à la fois ludique et philosophique : eXistenZ, de David Cronenberg. Un film qu'on peut tenir pour une métaphore de l’existence (!).

Lorsque Ted Pikul entre dans le jeu nommé eXistenZ, qu'il « s’incarne » dans son personnage virtuel, il s’étonne de pouvoir mouvoir son bras, son corps. Il s’étonne de pouvoir faire comme s’il le dirigeait. Je pense que le film cherche à nous montrer que la réalité n’est pas très différente. C'est juste que nous sommes « tellement habitués à la réalité »7) que nous ne nous étonnons plus de notre « liberté de mouvement ». Plus tard dans le film, s’adressant à la conceptrice du jeu, Pikul formulera l'idée plus clairement :

Le libre arbitre… n’est vraiment pas grand chose dans ce monde

À quoi la « démone » (Socrate !) Allegra Geller répondra justement :

C’est comme dans la vraie vie8. Il y en a juste assez pour rendre la chose intéressante9.

Je me tâte, mais je ne crois pas avoir beaucoup dérivé. La question de notre rapport à notre personnalité englobe bien celle de savoir en quelle mesure nous sommes « embarqués » par elle. En d'autres termes : quelle capacité aurons-nous de juger de notre personnalité si elle nous « colle à ce point à la peau » ?

Nous vivons notre personnalité, et vivre, ce n’est pas connaître. À la limite, nous pourrions vivre toute notre vie sans jamais rien savoir de notre « personnalité » — sans parler de ses déterminants. Il y a là, je trouve, quelque chose de troublant, et de fascinant.

La Palisse et le servant chinois

Une évidence, un truisme, une vérité de LaPalisse : avant de savoir quoi que ce soit à propos de notre personnalité, il faut en faire l’expérience10. Avant de m’être mis dans cette fureur, je ne savais pas que j’en étais capable. Elle ne faisait pas encore partie de ma personnalité. Et pour que je m’approprie cette colère comme un possible « trait de ma personnalité », il me faut encore pouvoir faire retour sur elle. Car, ma colère passée, passant moi-même à autre chose — à me calmer et à oublier par exemple, — je m’oublierai peut-être comme coléreux à ce point.

La colère est peut-être un exemple un peu extrême. Et comme Cronenberg est lui-même un personnage un peu extrême, c’est aussi celui qu'il a retenu pour pousser la scène de la « liberté » jusqu'au bout. Pikul, pris d’une fureur soudaine, abat le servant du restaurant (d'un coup de pistolet… en poulet11). Surpris par son propre geste, il conteste immédiatement en être la cause et demande à eXistenZ — le jeu — d’entrer en pause, déclenchant une musique inquiétante (et même filandreuse).

difficile retour sur soi

Bref. Pour me reconnaître « pleinement » comme disposant de tel ou tel trait de personnalité, j'ai besoin de faire retour sur eux, sur moi, et d'une occasion de le faire. Quelques courtes remarques à ce sujet. La capacité à « prendre du recul », ou « de la hauteur » sur notre propre personnalité — n’est pas quelque chose :

  • qu'on apprend à l’école12 ;
  • que l’on cultive naturellement ;
  • que tout le monde accomplit au même « degré », ou avec la même « facilité »13.

La voie majeure pour en savoir un peu sur notre propre personnalité est évidemment de recueillir ce que les autres « disent » de nous, les mots qu'ils utilisent pour nous décrire, les « images » qu'ils nous renvoient. Mais ! On imagine les distorsions qui entrent dans ce jeu de miroirs. Distorsions qu'on retrouverait aussi, bien sûr, du côté d'une auto-analyse menée plus ou moins « sauvagement » — qui ne s’appuierait pas sur des tests, analyses et autres outils « d’objectivation » de la personnalité.

Je pense qu'on peut généraliser : en moyenne, la personnalité telle que nous la vivons est largement située en zone aveugle. En zone « trouble », en tout cas. Pour résumer :

  1. notre personnalité nous « colle à la peau », nous « précède », nous « embarque », etc. ;
  2. les occasions sont rares d’en prendre connaissance ;
  3. les effets de distorsion ne manquent pas dans son observation14.

rapport avec l’astrologie

Pour moi, le thème astral est un raccourci conduisant aux déterminants profonds de notre personnalité. C’est, j’en suis convaincu sur le principe, la voie royale pour l’analyse de notre personnalité.

C’est vite dit, je sais, et péremptoire, en l’état.

Mais justement, je le dis pour me faire ici l’avocat du diable. Ce qu'on vient de voir dans cet article, c’est bien l’ambiguïté du rapport que nous avons à notre personnalité, et mon propos est bien de mettre en garde contre les écueils de l’auto-analyse, notamment contre la tentation de s’identifier trop promptement aux interprétations qu'on pourra rencontrer.

Même si, comme je viens de le dire, je crois que l’astrologie est la voie royale vers la connaissance de notre personnalité, je sais aussi la nature du chemin proposé. C’est celui du symbole, et il est semé d’embuches, d’illusions, de faux-semblants. Et de notre côté : de l’identification complaisante et du déni.

Je reviendrai là-dessus par une autre porte…

Notes de bas de page:

1

Philosophe moral, et auteur d’un Traité de Caractérologie publié en 1945, une perle de la psychologie française du XXᵉ siècle.

2

La question de la personnalité a longtemps été regardée comme « négligeable ». Il faut attendre le XIXᵉ siècle pour que la question gagne un peu en « dignité ». Le siècle de la psychologie. Il faut, semble-t-il, attendre à la fois Uranus, et Neptune. Uranus est la planète de l’individuation. Neptune ouvre cependant l’ère de la psychologie en ce qu'elle nous rendrait plus « perméables » ou plus « ouverts » aux autres « individus ». Cela ne veut pas dire que nous n’avions pas de psychologie dans le monde ancien. L’astrologie ancienne a une psychologie. Cf. les tempéraments d’Hippocrate. Mon petit doigt me dit que c’est différent. Très différent

3

Je ne pense pas être très narcissique, ou en tout cas pas de manière pathologique. Mais c’est moi qui le dis !

4

Remarque, au passage : on ne manifeste jamais pour développer le savoir dans telle ou telle direction. Cela en dit plus long qu'il n'y paraît. Si on y réfléchissait, je pense qu'on trouverait des raisons de s’en étonner.

5

Incaculables, elles le sont dans les deux sens du terme. Immenses, mais en même temps, extrêmement délicates à « calculer », — à établir. Pour caricaturer : les signes de terre iront aux champs, les signes d’air enseigneront, les signes d’eau feront des chansons, etc. Cette caricature cache néanmoins une piste.

6

Je répondrai ici très vite à l’objection du libre-arbitre : ce n'est pas parce que nous faisons l’expérience du choix que ce choix n’est pas lui-même plus ou moins déterminé.

7

Le poète dit au contraire : l’existence est ce à quoi on ne s’habitue jamais vraiment. Ce doit être Michaux, ou Paul Valéry, je ne sais plus.

8

Cette comparaison avec la « vraie vie » donne à explicitement à penser que Cronenberg fait un film sur l’existence, et pas sur la « réalité virtuelle ». Ou, au moins, du rapport entre les deux.

9

Texte original. Ted : Free will… is obviously not a big factor in this little world of ours. Allegra : It's like real life. There's just enough to make it interesting.

10

La personnalité est bien quelque chose qui se « développe ». On peut penser à ce « développement » de plusieurs façons. Le nouveau-né humain n’a pas encore de caractère ou de personnalité, même si cela vient assez vite (surtout, vu de l’extérieur, en tant que parent). La question est ici de savoir si nous apprenons nécessairement sur nous-mêmes en même temps que nous développons notre caractère : cela n'a rien d’évident.

11

Oui, le pistolet est fait de morceaux de poulet. Il faut le voir pour le croire, ce film.

12

L’école est tournée presque exclusivement vers des savoirs extérieurs. L’examen de soi est limité aux situations de problèmes comportementaux, et à la rigueur, par la bande, à l’enseignement « civique » puis, in extremis, à la philosophie. Toute « morale » a disparu du paysage éducatif.

13

Naturellement, il y a ici des dispositions caractérologiques.

14

Je tâcherai de développer ce point, qui le mérite.