lun. 09 oct. 2017

Une approche personnaliste de l'astrologie

article   caractère  

Le paradoxe individualiste

Uranus. Il est évident que l’Occident est engagé depuis, disons, la révolution française1, dans une profonde transformation individuelle et collective — où littéralement, l’individu cherche à prendre la place du roi. On notera immédiatement le caractère paradoxal, (éventuellement dévastateur2) de cette force historique. D'abord, il n'y a pas de sens à ce que tout le monde devienne roi, car à un roi, il faut des sujets. N’empêche ! La force en question est aveugle, et chacun cherchera à devenir roi. C’est ce qu'on constate. Quand bien même il y a des exceptions, beaucoup de gens sont engagés dans une recherche de pouvoir (ne serait-ce que du pouvoir sur leur propre « destin », en cherchant à se faire « une bonne place » dans la société, avec un « minimum » d’argent, une « situation », etc..). Ainsi, on pouvait s’y attendre, dans cette lutte vers le « régalien », certains vont prendre du pouvoir sur d’autres.

Arrêtons-nous un instant sur un autre aspect paradoxal de cet individualisme. Le paradoxe individualiste culmine lorsque, soumis aux vents dominants, il se change en son contraire : dans des pratiques uniformisantes, conformantes, et finalement, désintégratrices de l’individualité. Du point de vue astrologique, on est tenté de faire intervenir ici une autre planète qu’Uranus pour rendre compte de ce phénomène : Neptune. On pourrait dire en effet que c’est Neptune, qui semble agir de manière opposée : comme puissance de dissolution de l’individu dans le collectif, la masse, etc. Ici, le paradoxe individualiste se change dans une dialectique conflicutelle entre deux "superpuissances planétaires". On ne compte pas, dans notre monde "psycho-mercantile", sous l’espèce de "solutions personnalisées", "de formules à la carte", les invitations à prendre soin ou même à exploiter notre "capital santé", notre "capital capillaire", etc. Invitations qui nous emmènent le plus souvent par des sentiers battus, y compris dans le domaine du "développement personnel". Alors pourquoi ne vous apprendrais-je pas à "exploiter votre capital astral" ?

La personne contre l’individu

Entre "gestion de votre capital astral" (ce que je ne propose pas) et "appropriation de votre personnalité astrale" (ce que je propose), la différence n'est-elle que de mots ? Non3, car dans ma vision astrologique de la personne (ou dans ma vision personnaliste de l’astrologie), j’affirme que — en tant que personnes, et non en tant qu’individus, nous appartenons à un "ordre" plus grand que nous, qui nous transcende, nous dépasse, et nous échappe en partie. Pour le comprendre, je reprends à mon compte cette différence que les personnalistes historiques ont été les premiers à établir. Selon Daniel-Rops,

"La personne n'a rien de commun avec l'être schématique mû par des passions élémentaires et sordides, qu'est l'individu. La personne, c'est l'être tout entier, chair et âme (…) tendant au total accomplissement"4

Emmanuel Mounier :

"L'individu, c'est la dissolution de la personne dans la matière. […] Dispersion, avarice, voilà les deux marques de l'individualité. (…) Aussi, la personne ne peut croître qu'en se purifiant de l'individu qui est en elle"5.

Et enfin, Maritain, parce que sa citation nous réserve une surprise (que je souligne) :

" Le nom d’individu, au contraire, est commun à l’homme et à la bête, et à la plante, et au microbe, et à l’atome… En tant qu’individus, nous ne sommes qu’un fragment de matière, une partie de cet univers, distincte sans doute, mais une partie, un point de cet immense réseau de formes et d’influences, physiques et cosmiques, végétatives et animales, ethniques, ataviques, héréditaires, économiques et historiques, dont nous subissons les lois. En tant qu’individus nous sommes soumis aux astres ; en tant que personnes, nous les dominons." 6.

Maritain nous invite à une question intéressante7 : est-ce que l’astral nous affecte en tant que "personnes", ou seulement en tant qu’ "individus" ? En d'autres termes, doit-on parler de personnalité ou d’individualité astrale ?

La distinction entre individu et personne me paraît essentielle dans un contexte "exotérique", celui d’une philosophie "sociale" par exemple8 ; elle donne à comprendre que l’individualisme doit être dépassé (sur le plan moral), et commence même à indiquer comment. Mais l’ontologie sur laquelle repose cette distinction est problématique. Nous ne savons pas au juste jusqu'où s’étend le "règne de la matière" — ou, ce qui revient au même, celui de l’esprit dans la matière. Nous ne savons d'ailleurs plus très bien aujourd'hui ce qu'est la matière en termes physiques. Le système solaire et les planètes, qu’on tient pour un ensemble matériel, précèdent, l’apparition de l’homme et de la vie. Idem les dinosaures ! Ces faits donnent à mon avis du grain à moudre au "spiritualiste" : ils nous invitent à ne pas éluder la question de la "spiritualité de la matière", puisque c'est de la matière, apparemment, que naît l’esprit.

Individualité astrale : mettre la personne au centre

L’astrologie va dans le même sens, en donnant à penser que les planètes affectent la vie de l’esprit. L’astrologue sait, par expérience, que notre activité mentale est orientée dans une large mesure par des effets astraux. Jupiter oriente vers autrui, c'est une planète "sociale" ; Saturne à l’inverse tend à nous ramener vers l’intérieur de nous-mêmes, etc. — Que dire de Neptune, qui avec son effet de flou, semble effacer les frontières entre soi et l’autre, entre soi et le monde ? Même si l’on voulait éviter de confondre le plan mental et le plan spirituel, il me semble impossible d’ignorer combien ces "plans" se trouvent intimement liés. Bref, les planètes empiètent par quelque côté dans le domaine de l’esprit9.

Ainsi, je crois qu'on se trompe si on croit pouvoir reléguer la détermination astrale à l’étage "en dessous" du spirituel. Toute "localisation" (des "étages") étant d'ailleurs bien arbitraire, sinon fantasmatique. L’astral fait corps avec l’esprit, pourrait-on dire. De ce point de vue, il ne semble pas pertinent de distinguer entre individualité astrale et personnalité astrale, et même d’opposer la personne à son "individualité" astrale.

Je n’affirme pas pour autant que la personne serait déterminée par l’astral de part en part. Je comprends le geste de Maritain, et pour l’essentiel, je suis d'accord avec lui : j’admets que nous puissions dépasser, par quelque chose comme une "reprise spirituelle et symbolique", les déterminants de notre "individualité astrale"10. Peut-être est-ce précisément le travail de l’astrologue que d’amener la personne à transfigurer son individualité astrale — à reconnaître, révéler, intégrer, "sublimer", "réaliser", voire "dépasser" ce qui la détermine. Encore faut-il avoir pleinement conscience de l’intrication des deux "étages" (le mental et le spirituel). On ne saurait balayer cette intrication d’un revers de main et "sauter" directement dans le royaume de l’esprit. Notre lien aux étoiles est une affaire subtile, et on a vite fait de dire que le sage "domine" ses astres…

Ces précautions prises, mon propos est bien d’aller dans le sens personnaliste, et de mettre la personne au centre de la pratique astrologique. Ce qui implique d'après moi une sorte de "révolution copernicienne" (comme disent les philosophes) au sein de cette pratique.

Mon opinion est que les astrologues font un peu les choses à l’envers quand ils partent du thème pour inventorier les dispositions psychologiques de la personne — comme par exemple dans la pratique des thèmes astraux en aveugle11. L’astrologue commet ici une "faute" qui, dans le langage personnaliste, s’apparente à une confusion entre individu et personne.

On ne saurait se contenter d’assimiler (ou de réduire) une personne à une somme de traits psychologiques tirée d’un manuel (d’astrologie). Il est pourtant extrêmement tentant de le faire, parce que, la plupart du temps, ça marche (il suffit de disposer d’un bon manuel et de faire preuve d’un peu de "psychologie"), et surtout, ça fait son effet ! Mais les effets de manche sont vite passés, et il y a de bonnes raisons à ne pas se contenter de ce genre de pratique.

On remarque que cet inventaire (de dispositions psychologiques) est cantonné dans l’analyse (au sens commun du terme12, celui d’une décomposition en éléments simples, mais ici plus une juxtaposition qu'une décomposition13). Mais ce que la pratique révèle aussi assez rapidement, c'est que ce que l'on tire de l’analyse d’un thème en termes psychologiques s’avère rapidement contradictoire : en effet un thème astral comporte très souvent des éléments qui "tirent" dans des directions psychologiques opposées.

Ces contradictions semblent laisser attendre une synthèse. Hélas, une telle synthèse ne va pas sans soulever d’énormes difficultés, peut-être insolubles. — J'ai commencé à le montrer dans un autre article, en suggérant l'idée que la synthèse ne peut être menée à son terme sans la collaboration active du natif, ce qui me conduisait finalement à énoncer que, la synthèse, c'est (la) personne.

On retrouverait la même idée en examinant la progression interne à l’étude d’un thème « en aveugle » (où la personne dont on étudie le thème n'est pas en face de nous). En effet, en admettant que la synthèse serait le mouvement consistant à faire le lien entre différents secteurs d’analyse d’un thème, de proche en proche on serait conduit à vers ce qu'un thème a d’unique. Cependant, dans la pratique (en ce qui me concerne en tout cas), on ne fait jamais un tel travail jusqu'au bout — et même, on l’esquisse à peine. Mais au moins, on voit l'idée, et le mouvement : celui justement qui va de l’individu vers la personne dans sa singularité.

Tout ceci converge vers l'idée que c'est de la personne qu'il faut partir dans le cadre d’une consultation. C'est elle qui, dans sa singularité, incarne et donne vie aux symboles qui "planent" au-dessus d’elle (même si elle les incarne d'abord au "premier degré", sans le savoir). En disant cela, j’ai conscience de pouvoir donner l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Mais en même temps, la littérature des « manuels astrologiques » (au moins francophone) reste extrêmement silencieuse sur la manière de faire de l’astrologie pour de vrai, les manuels laissent souvent croire que l’astrologie se pratiquerait dans le sens opposé (des symboles astraux vers la personne).

Ainsi, à la limite (?), c’est à la personne qu’il devrait revenir (guidée par l’astrologue) de dire comment elle incarne ses planèteset à l’astrologue d’informer symboliquement le thème astral en conséquence — au moins dans les premiers temps de la consultation. On comprend peut-être mieux maintenant ce que cette démarche a de « révolutionnaire »… On peut le dire un peu autrement : c'est à la personne de guider l’astrologue vers les chemins que doit prendre le travail d’analyse.

Et alors, cette synthèse, c’est pour quand ?
Un thème astral — est un éclaté. Les données fournies par l’astrologie sont analytiques.

Notes de bas de page:

1

Uranus est la planète révolutionnaire par excellence, par définition (astrologique). Découverte en 1781, elle est la "signature céleste" de la transition de l’Ancien Régime vers l’individu moderne.

2

La "guerre" de tous contre tous, cf. Hobbes et son Léviathan

3

Sauf à se placer dans le camp de l’ennemi, où tous les discours semblent s’équivaloir. Mais pour nous, les mots sont importants.

4

Daniel-Rops, Éléments de notre destin, Paris, Éd. Spes, 1934, p. 65, note 1.

5

Emmanuel Mounier, Manifeste au service du personnalisme, p.40.

6

Jacques Maritain, Trois réformateurs : Luther, Descartes et Rousseau, Paris, Plon, 1925, pp. 28-29.

7

Il nous y invite peut-être malgré lui, car à ma connaissance, il ne pratiquait pas l’astrologie, et il ne faut pas le prendre au mot. Je pense que sa dernière assertion est davantage une formule pour se faire comprendre qu'une affirmation sur la nature de l’influx astral.

8

Voir, dans ce registre, les ouvrages de Dany-Robert Dufour comme Le Divin marché, La Cité perverse, ou Le Délire occidental. Dommage que cet auteur, qui propose des analyses pénétrantes, conserve le terme d’individu dans son sens "positif", ignorant ainsi l’apport du personnalisme avant lui.

9

Ce qui me fait penser à Valéry, le penseur, qui dans la modernité, s’est peut-être le plus intensément interrogé sur l’activité de l’esprit, qui se demandait : "Est-ce mon esprit, ou l’esprit, qui est tel ?". Sans éluder la dimension problématique de la question, l’astrologue aurait des arguments pour alimenter l’idée que c’est "ton esprit, Paul Valéry, qui est tel"…

10

Je m’autoriserai donc, après ce qui vient d’être dit, à parler de personnalité astrale.

11

C'est-à-dire sans rien connaître des personnes auxquelles ils s’adressent.

12

Que je distingue du sens où je qualifie ma pratique astrologique d’analytique, pour faire référence à la psychologie de Jung.

13

un thème astral est déjà « décomposé »