ven. 13 oct. 2017

La bataille des planètes

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Comme les anciens dieux, les planètes se font la guerre. Seulement, elles ne se font pas la guerre entre elles, mais en nous.

La vision astrologique de l’homme n’est ni noire, ni rose. Mais elle nous invite à reconnaître la négativité à l’oeuvre dans le coeur et l’agir humains1. Par négativité, j’entends l’ensemble des maux qui affligent le sujet humain en général, dont il peut être tenu pour (co)responsable. Soit, entre autres : souffrance infligée à autrui et/ou à soi, mauvaise foi, mensonge, malhonnêteté, manipulation, tromperie (y compris à l'égard de soi-même), etc. — mais aussi, "oubli de soi", déni ou déconnexion de ce qui compte vraiment, etc. En nous donnant à localiser une partie de cette négativité, l’astrologie nous rend doublement service. D'abord elle nous invite à nous saisir dans notre "entièreté", c'est-à-dire en tant que nous sommes des sujets divisés2. Mais en nous donnant à entrevoir la "carte de nos conflits intérieurs", l’astrologie est aussi une promesse d’apaisement.

La négativité astrale

La théorie astrologique rend compte de la négativité en comprenant certains rapports d’angle entre les planètes comme "négatifs"3. En astrologie, on parle aussi bien d’aspects de tension, dissonants, disharmonieux, par opposition aux aspects harmoniques ou bénéfiques4. Leur action ira dans le sens de l’excès, du déséquilibre, pouvant entraîner, selon les planètes en jeu, tension intérieure, bouillonnement, confusion, dissociation, raideur, froideur, sécheresse, indifférence, &etc.

Les aspects de tension ne constituent peut-être pas l’alpha et l’omega de la négativité astrale5, mais c'est à travers eux qu’elle s’exprime de la manière la plus éclatante. La négativité des aspects de tension a de fortes chances de s’exprimer de façon manifeste dans la vie du sujet — peut-être plus, d'ailleurs que la "positivité des aspects positifs" du thème6. Ces aspects fonctionnent souvent comme des aiguillons intérieurs ; ils font apparaître des difficultés et forcent à les affronter7. Les aspects harmonieux, au contraire, donnent de l’aisance, de la facilité, ils /s’intègrent à la personnalité de manière plus fluide, souvent de manière plus "discrète" (surtout les sextiles).

On pourrait distinguer entre deux espèces de négativité : l’une poussant au conflit ouvert (avec soi-même ou avec les autres8), l’autre tirant vers la passivité, les conduites d’évitement, l’indifférence et l’ignorance. Nous connaissons tous des gens qui ont du mal à s’apaiser ; et d'autres qui, inversement, ont du mal à se remuer.

Mais cette manière de voir reste schématique, trop "manichéenne", comme on dit. Car il existe aussi, à n'en pas douter, une vertu de la confrontation, voire du conflit (comme moteur du changement, pour dire vite), tout comme il existe une vertu de la passivité, et même de la "paresse" (comme force d’insoumission, fût-elle inconsciente)… Finalement, on est conduit à dire que la négativité a en soi quelque chose d’ambivalent. Par contre, ce qu'il l’est moins, ou pas du tout, c’est la manière dont la personne en éprouve les effets, c'est-à-dire, le cas échéant, comment elle en pâtit, — ou comment ceux qui l’entourent en pâtissent…

Enfin, si on veut aller au bout de la logique, il faut encore imaginer que cette ambivalence se retrouve du côté des aspects positifs. Autrement dit, accorder la possibilité d’une négativité des aspects harmonieux9. Cela n'a rien d’absurde : la légèreté ou même la générosité peuvent conduire à des inadaptations (aux dures réalités du monde !).

Aperçu historique de la négativité

Les anciens astrologues allaient plus loin que nous dans l’assignation du négatif astral : ils considéraient Mars et Saturne comme essentiellement néfastes. Tout aspect à ces planètes était ainsi interprété comme négatif pour la "destinée". D'ailleurs, à leur suite, certains astrologues du XXe s. ont vu d’un mauvais oeil l’arrivée des trois "petites dernières", nos trans-saturniennes (♅, ♆ et ♇), et les ont rangées d'emblée dans cette catégorie des "néfastes".

Cette vision "monolithique" de la négativité astrale n'est plus la nôtre depuis que l’astrologie s’est faite "humaniste" et "psychologique". Dane Rudhyar (1895-1985) est la figure de référence du mouvement "humaniste", mais le signal de départ de la réforme psychologique de l’astrologie avait déjà été donné avec Allan Leo (1860-1917).

En mettant constamment l’accent sur le libre arbitre, les successeurs d’Alan Leo mirent en place un système qui impliquait que, quoi que pût dire un thème de naissance, vous étiez toujours libre de faire tout ce que vous vouliez (…)10.

Les astrologues "humanistes" du XXe s. ont décidé de rompre avec une astrologie qui "juge du destin des individus" ; au contraire, ils ont fait au "libre-arbitre" et à l’auto-détermination individuels une place qu'ils n’avaient pas dans "l’ancien régime" astrologique. Ils ont adouci l’astrologie. Mais ce que laisse déjà entendre la citation précédente, c’est qu'ils l’ont adoucie parfois outre-mesure.

Un tel changement de cap dans l’histoire de l’astrologie pose une question redoutable : les anciens s’étaient-ils trompés sur l’astrologie ? Je ne peux qu’effleurer cette question ici ; mais ce que j’observe, c'est que la toute dernière tendance en astrologie est de revenir sur cette "psychologisation" (outrancière ?) de l’astrologie. Comme si on ne pouvait plus croire ou laisser croire à la toute-puissance d’un sujet capable de "se recréer" quelle que soit la négativité apparaissant dans ses étoiles. « Vous avez ♂ □ ♄ ? Libre à vous d’utiliser positivement l’énergie (négative) de ces planètes ! » — tel semble être, à gros traits, le discours dont certains ne veulent plus aujourd'hui, qui ont commencé à refaire un pas "en arrière", vers l’astrologie "traditionnelle", revenant à une détermination plus "dure"11

Reconnaître la négativité

Ce détour historique, brossé à gros traits, nous met sur la piste du lien existant entre négativité et détermination. C'est, en d'autres termes, la question de la liberté humaine qu'on pose ici, dans le contexte d’une "influence" astrale. Je me contenterai ici d’une seule remarque.

Destin ou libre-arbitre ? Qui a raison ? Les anciens, qui "croyaient au destin", ou les modernes, qui ont cru (ou croient peut-être toujours) au libre-arbitre ? Un sceptique qui passerait par là nous dirait peut-être : « ce qui est sûr, c’est que quelques discours qu’aient pu tenir philosophes ou astrologues — l’humain est resté l’humain, continuant de subir les "mêmes niveaux de détermination" (astrale, génétique, sociale) ».

Je ne partage pas cette position, en dépit de son air de bon sens. En l’état de notre savoir, il est impossible de savoir si les anciens ont "surestimé" la négativité astrale12, ou si ce sont les modernes qui l’ont sous-estimée. Ce que je me dis, c’est que personne n’a pu vraiment se tromper. Non pas parce que nous ne disposerions désormais d’une position de surplomb historique permettant de juger de la situation de manière "objective". Nous ne le possédons pas. Mais ce que je retiendrai de ce « fossé historique », c’est que la puissance de la négativité13 dépend du regard que nous portons sur elle.

Cela nous met face à d’étranges responsabilités. Serions-nous aussi libres, ou aussi déterminés, que nous voulons bien l’être ? Il y a sans doute du vrai là-dedans : croire au destin, c'est commencer à vivre comme s'il existait ; inversement, comme le "savent" les adeptes de la méthode Coué, se croire libre, c’est commencer à vivre comme si nous l’étions14. Les adversaires de l’astrologie s’emparent d'ailleurs de cet argument pour critiquer l’astrologie : celui qui croit dans le pronostic de l’astrologue modifierait son comportement de façon à confirmer le pronostic. C'est ce qu'on appelle la "prophétie auto-réalisatrice". Mais là où le sceptique voit un biais psychologique, on peut voir aussi une condition ontologique générale. Qui ne conforme son comportement à ses croyances (au moins, quand ça l’arrange) ? Personne n’échappe totalement à ce genre de biais, pas non plus celui qui le brandit face à son adversaire.

On me comprendrait mal en me prêtant l'idée qu'il suffit de faire l’autruche pour échapper à la négativité. L’astrologie invite au contraire, à la reconnaître, et à commencer d’en mesurer la subtilité. Non par masochisme (même si, pour pratiquer l’astrologie, etc.). Mon idée est que pour le combattre, il vaut mieux connaître l’adversaire.

Enfin, négativité et détermination me semblent liées pour une raison plus profonde. En effet, le mal que nous causons, nous ne le faisons pas — pas toujours, peut-être même jamais — délibérément. « Nul ne fait le mal volontairement », disait le philosophe. Ce n'est qu'en surface qu'on peut le contredire : le méchant est peut-être pleinement conscient du mal qu'il prodigue, il ne l’est sans doute pas autant de la "logique" qui l’anime et l’entraîne.

Vertus de la conscientisation

L’analyse du thème astral permet de donner un coup de sonde dans les régions profondes de notre psychisme, et de sa part négative ; elle révèle des attitudes, sentiments, compulsions ou complexes que nous subissons. — Subir, c’est peut-être là, au fond, qu'est le mal.

Néanmoins, on pourrait se demander le bénéfice qu'il y aurait à prendre conscience de nos tours négatifs. Si les astres me déterminent en quelque mesure, vont-ils cesser de me déterminer si je reconnais qu'ils me déterminent ? A quoi on peut répondre : non, ils continueront d’agir sur moi. Mais à une différence près : c'est que j’aurai conscience de leur action. Certes, cette conscience ne fait pas tout. Elle est même pleinement compatible avec une attitude défaitiste : « je suis comme ça, je n'y peux rien ». Mais cette conscience peut aussi faire la différence entre subir, et accompagner le mouvement. Au judo, on apprend à tomber sans se faire mal ; on se sert aussi du mouvement adverse pour le "retourner contre lui". En psychanalyse, on a forgé le terme de sublimation pour parler de cette action du conscient sur l’inconscient. Mes tendances négatives ne vont pas disparaître du jour au lendemain parce que j’en prendrai conscience, mais ma conscience et ma volonté sont sans doute capables de réorienter mes pulsions. Il y aurait ainsi une place pour un travail de la conscience sur nos ressorts négatifs.

On trouvera aussi du réconfort à reconnaître qu'une partie de nous-même nous échappe. À reconnaître qu'il ne nous appartenait pas de devenir "complètement autres" que celui que nous sommes devenu. Il y a là non seulement de quoi se "déculpabiliser", mais aussi de quoi ouvrir la voie à une autre forme de responsabilisation. En effet, je suis peut-être plus léger à endosser un poids dont je ne suis pas responsable, dont je ne suis pas l’origine. On pourrait parler d’indulgence envers soi-même (les anglais disent : self indulgence).

On le voit, il existe plusieurs chemins. Mais la négativité est subtile ; sa reconnaissance demande un travail spécial de l'esprit et de l’intuition. Car nous sommes portés par nos déterminations, bonnes ou mauvaises. Entreprendre de saisir ce qui nous porte fait penser à l’effort du baron de Münchausen, qui se prend lui-même par les cheveux pour se sauver de la noyade. Mais cette image fatale ne doit pas nous tromper : la reconnaissance de notre négativité est non seulement souhaitable, elle est possible.

En nous laissant entrevoir la carte de nos conflits intérieurs, l’astrologie prépare à notre émancipation, à notre transformation personnelle — à l’intérieur de certaines bornes15. Des bornes symboliques que le travail avec l’astrologue vise justement à faire apparaître, pour mieux les surmonter.



bibliographie

Kirk Little, Defining the Moment: Geoffrey Cornelius and the Development of the Divinatory Perspective.

Notes de bas de page:

1

J’emprunte une partie de cette locution à la théorie de l’"entraînement mental", auquel j’ai été formé. cf. www.entrainement-mental.info.

2

On pense à l’image freudienne de la conscience comme (sous) produit instable de forces contradictoires qui nous agitent. Mais cette division du sujet n'est pas forcément ou seulement "verticale" (cf. les images de l’iceberg, conscient en haut versus Inconscient en-dessous), elle peut aussi être comprise de manière horizontale, comme dans la définition de la personnalité que nous donnons plus bas.

3

Rapports d’angles de 45, 90, 135 et 180 degrés. Comme si des planètes qui se faisaient face (par rapport à la Terre) se toisaient, et des planètes en carré s’ignoraient, tirant chacune dans leur direction, etc.

4

Rapports d’angle de 30, 60 et 120 degrés pour l’essentiel.

5

On pourrait y ajouter les "détriments" planétaires, les rétrogradations, les déficits d’éléments, peut-être les incompatibilité élémentales, mais tout cela entrerait plutôt dans le registre des "faiblesses".

6

On peut s’expliquer cela en disant que le "trop de…" inhérent aux aspects de tension est ce qui les rend prégnants, souvent plus visibles dans le comportement

7

On dit aussi qu'ils livrent avec eux toute l’énergie nécessaire pour surmonter ces difficultés.

8

On peut se demander en quelle mesure l’autre n'est pas, bien souvent, qu'un "support" pour l’expression de ce que nous sommes.

9

Y compris entre planètes "bénéfiques"

10

Barbara Watters, Horary astrology and the judgement of events, 1973, p.7

11

C'est le cas de certains "néo-traditionalistes" qui considèrent qu’un thème de naissance n'est pas l’expression de la psychologie du natif mais de son monde, refusant par exemple de voir la maison II comme exprimant les "valeurs" du natif mais comme indiquant ses possessions, qu’il faut donc comprendre comme "objectives". D’autres se remettent à utiliser des "parts" en tout genre (fortune, mariage, amis, etc.). Enfin, on ne peut pas ne pas mentionner le retour en grâce de l’astrologie horaire, c'est-à-dire la consultation des étoiles pour répondre à une question quelconque. Toutefois, ce mouvement est loin d’être uniforme.

12

C’est par commodité que j’emploie ce terme de "signal". A ce jour, la physique reste muette sur la possibilité qu’existe un tel signal. Ce qui, faut-il le rappeler, ne veut pas dire qu'il n’existe pas

13

je prends un raccourci ici en proposant une équivalence simple entre détermination et négativité.

14

Idem, plus fondamentalement, à l’échelle collective : dans un monde où la plupart croient à xx se met à exister — que ce x soit le destin ou le libre-arbitre.

15

Que notre liberté soit bornée n’est pas contraire à la liberté, et sûrement pas à son sentiment. Comme en mathématiques, il existe une infinité de possibles à l’intérieur d’un intervalle borné.