mer. 30 oct. 2024

L’effet Barnum, un « biais cognitif » ?

psycho   science   biais  

Cet article reprend et synthétise un article précédent sur « l’effet Barnum », en essayant de mieux cerner ce qu'il montre et ce qu'il ne montre pas, en interrogeant ses présupposés et la légitimité à l’identifier à un « biais cognitif ».

Voici comment Wikipedia présente « l’effet Barnum », — qui prend d’autre appellations ("effet Forer", "effet de validation subjective" ou "effet de validation personnelle", ou enfin "effet puits"). Il s'agirait « d’un biais cognitif induisant toute personne à accepter une vague description de la personnalité comme s'appliquant spécifiquement à elle-même ».

Un « biais cognitif » est une sorte « d’erreur » dans notre perception de la réalité d’un phénomène. Ainsi, on ferait erreur en acceptant une « vague » description de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à soi-même. Ne pas commettre d’erreur consisterait ainsi reconnaître qu’elle ne s’applique pas spécifiquement à nous-mêmes.

Commençons par préciser le terme « vague » employé dans cette définition. Une « vague description de la personnalité », c’est en réalité une description générale ou générique, ou encore universelle, c'est-à-dire une description de la personnalité qui convient à tout le monde, dans laquelle chacun peut se reconnaître…

On devrait s’étonner qu'on parle de « biais cognitif » pour qualifier cette adhésion à un profil de personnalité universel. En effet, où se trouve « l’erreur » à se reconnaître dans une description de personnalité universelle ? Où se trouve le « biais cognitif » si ce profil de personnalité qui convient en réalité à chacun ?

Si on parle néanmoins de « biais cognitif » — et, à mon sens, abusivement —, c’est dû au fait que l’expérimentateur, lui, sait par ailleurs que les profils présentés aux sujets n'ont rien de « personnel ». Mais si on ne s’assure pas que les sujets sont en capacité de distinguer entre un profil authentiquement personnel et un profil générique, il n'y a pas de raison à taxer leur appréciation de « biais cognitif », car à aucun moment ils ne commettent d’ erreur de perception.

Pour qu’existe une « erreur », ou un « biais », il faudrait qu’existe aussi une perception « juste », non biaisée, c'est-à-dire la capacité à identifier un profil de personnalité générique, à le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire comme n’étant pas un profil authentiquement personnel. Tout ce que montrent les expériences de type Forer, c’est que les sujets ne reconnaissent pas ce caractère générique des profils qui leur sont présentés.

D'ailleurs, si on leur avait demandé : « croyez-vous que le profil qui vous est présenté est un profil de personnalité générique, ou un profil qui décrit authentiquement votre personnalité ? », il est probable que les résultats eurent été différents, car les sujets auraient alors disposé d'une information cruciale : que ces profils puissent ne pas leur correspondre personnellement. Au contraire, dans l’expérience de de Forer, on laisse croire au sujets que les profils présentés sont plus ou moins personnels (à eux de dire « combien »). Ici, comme ailleurs dans ce genre d’expériences, on joue avec une dyssymétrie de savoir entre l’expérimentateur et ses sujets, ce qui non seulement n’est jamais très fair play, mais surtout, finalement, ne nous apprend pas grand chose

Ainsi, les expériences de ce type me paraissent comporter plusieurs… biais ! Le premier, je viens de l’évoquer, est de laisser croire que les profils présentés aux sujets sont personnels. De plus, sachant que les expériences originales de Forer avaient lieu sur des étudiants, on peut se demander en quelle mesure elles n’exploitent pas leur « ingénuité » (« docilité » ? « crédulité » ?), accomplissant ainsi davantage une expérience de psychologie sociale sur l’autorité qu’une expérience sur la psychologie de la personnalité.

Ces expériences laissent aussi dans l’ombre la question de la possibilité qu’existent des profils de personnalité authentiquement personnels. Ce qui est paradoxal car elles laissent entendre que les sujets les « confondent » avec des profils génériques. On ne saurait « confondre » deux choses s'il n’en existe qu'une… On pourrait même se demander : les expériences de type Forer présupposent-elles l’existence de profils de personnalité authentiques ? On les utilise — et elles ont probablement été conçues — pour dénoncer leur « illusion », mais on voit qu’elles n'y parviennent que de façon partielle et même… illusoire. Ce que montrent ces expériences, c’est une propension à l’auto-attribution de profils de personnalité génériques, abusivement assimilée à un « biais cognitif ».