mer. 31 janv. 2018

Une approche analytique en astro-psychologie

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Ce papier fait partie d’une série d’articles où j’interrogerai la théorie (de la pratique) astrologique. Je m’intéresserai ici aux questions d’analyse et de synthèse dans le processus d’interprétation, dans un double cadre :

D'abord le cadre de ce qu'on pourrait appeler l’astrologie objective — c'est-à-dire l’astrologie pratiquée au moyen de la seule lecture de l’objet thème astral1, c'est-à-dire un cadre où l’astrologue interprète un thème à distance, sans rien connaître du natif, à la différence d’une consultation où l’astrologue est dans une relation de dialogue avec le natif. D'autre part le cadre de l’astro-psychologie, c'est-à-dire celui où l’on cherche à traduire les différents éléments de configuration astraux dans des termes psychologiques.

Ce double cadre correspond à une certaine image de l’astrologie, peut-être celle d’une astrologie vue de l’extérieur, qu'on ne saurait confondre avec l’astrologie tout court. Je reviendrai sur ce point en conclusion.

J’utiliserai le terme "analyse" dans son sens commun : l’analyse, c’est l’interprétation d’éléments simples, qu'on isole du thème (un carré Mars - Pluton, signifie ceci et cela). J’utiliserai le terme "synthèse" dans des sens différents — principalement deux. Au sens de la technique astrologique, comme tentative d’interpréter ensemble des éléments précédemment isolés par l’analyse (par exemple, vous avez un carré Mars-Pluton, mais aussi Mars en trigone à Jupiter, etc.). Et je parlerai aussi de la synthèse dans un sens psychologique : comme le processus selon lequel une personne "métabolise" (synthétise) différents aspects et tendances (éventuellement contradictoires) de sa personnalité (astrale).

Mon propos est de pointer le caractère problématique de la synthèse dans les deux sens donnés plus haut : « hasardeuse » sur le plan de la technique astrologique, et souffrant d’imposantes questions lorsqu'on se met à réfléchir sur la personnalité. Je me demanderai alors en quelle mesure la synthèse est un passage obligé de l’interprétation, et en quel sens on pourrait recourir à une approche exclusivement analytique de l’interprétation astro-psychologique.

Ces questions me paraissent importantes car elles déterminent notre manière d’appréhender un thème astral, et notre posture vis-à-vis des contradictions (psychologiques et logiques) qui peuvent surgir dans l’analyse d'un thème astral.

Le problème de la synthèse

Examiner un thème, c’est regarder successivement le Soleil, l’Ascendant, la Lune, leurs positions en signes, en aspects, en dignités, en maisons… Un thème astral s’analyse. Mais l’analyse seule bute au moins sur deux écueils. Le premier, c’est la masse d’informations contenues dans un thème astral2. On ne saurait tout analyser, et il y aurait quelque chose d’absurde à vouloir le faire, au moins en première lecture3. Comment procéder ? Quels sont les éléments les plus importants d'un thème ? Voici une liste d’éléments que les astrologues retiennent généralement comme déterminants :

  • Soleil et Lune (les luminaires) et l’ascendant ;
  • les planètes en position fortes, angulaires (surtout AS et MC), en dignité, ou en réceptions mutuelles ;
  • les amas planétaires (stellium) ;
  • la situation en signe et en aspects de la planète maîtresse de l’*Asc* ;
  • la prédominance (ou la rareté, voire l’absence) d’un ou de deux éléments ;
  • la forme de la figure du thème.

C’est parmi ces éléments qu'on cherchera à établir ce qui va « dominer » un thème — ce qu'on appelle parfois en astrologie la dominante4.

La caractérologie, la psychologie des types, ou la psychologie de la personnalité postulent qu'il existe quelque chose de stable, voire d’immuable dans la psychologie d’un individu — ce qu'on appelle en français le caractère, à la rigueur la personnalité5. L’effort de la caractérologie et des sciences de la personnalité consiste à « structurer » la diversité humaine en vue de l’appréhender. L’astrologie a des visées mutliples, mais une astrologie de type psychologique reste étroitement liée à ce programme6 , 7. La « dominante » astrologique du thème de naissance d’une personne ne devrait-elle pas nous renseigner sur sa personnalité ou son caractère ?

Il n'y a pas de « consensus » en astrologie sur la manière de dégager cette « dominante ». On sait grosso modo quels sont les éléments importants d’un thème (cf. la liste précédente) ; mais une liste n'est pas une méthode. La difficulté rencontrée est que, dans un thème, il y a invariablement plusieurs éléments de type « dominant », présents à des degrés divers. Se pose alors la question de la pondération de ces éléments. On peut dire que cette question de la pondération est le grand mystère de l’astrologie psychologique. Il n'existe pas de règles ou de principes astrologiques "standards", que la pratique aurait stabilisés, qui permettraient d’effectuer cette pondération de façon sûre. L’astrologue sait que le Soleil est "plus important" que toute autre planète, mais il ne saurait dire de combien il l’est — par exemple s'il est plus important qu'une planète en position forte (qui éventuellement, tire dans un sens divergent des valeurs solaires)8. C’est cela que j’appelle le problème de la synthèse. L’astrologue "objectiviste" est confronté à un problème de pondération ou de mesure, il ne sait pas bien comment évaluer l’importance relative de divers éléments de configuration astraux.

Cette difficulté n'est pas cantonnée à la question de la dominante. On la rencontre partout où des éléments d’interprétation "tirent" dans des sens divergents. Henri est-il plutôt extraverti ou introverti ? Il a le Soleil en Balance, ce qui tend plutôt à faire de lui un extraverti, mais sa Lune, qui est forte et saturnisée en Scorpion, va plutôt le tirer vers l’introversion. Ces deux indicateurs tirent dans des sens contraires. Lequel l’emportera ? Je ne pense pas que ce genre de questions soient décidables à la lecture du thème9. Les questions de ce genre ne sont peut-être pas toujours indécidables (certains thèmes pourraient indiquer des tendances « majoritaires » par redondance). Mais les situations indécidables ne sont pas exceptionnelles. Que doit faire l’astrologue « objectiviste » lorsqu'il est confronté à ce genre de contradictions ? Doit-il chercher à les arbitrer — « synthétiser » ?

Les étoiles se contredisent-elles ?

Je commencerai par interroger l’origine de ces contradictions. Sont-elles inhérentes aux configurations astrales, ou bien aux mots que nous utilisons pour les interpréter ? À première vue, il ne saurait y avoir de "contradictions" dans les configurations astronomiques d’un ciel de naissance. Ce que je veux dire, c’est que si nous avons un carré Mars-Uranus, nous ne pouvons pas avoir en même temps un trigone entre ces deux planètes. De ce point de vue au moins, les planètes ne sauraient se « contredire ». Mais si nous avons un carré Mars-Uranus et un trigone entre Mars et Jupiter, alors nous rencontrerons des contradictions entre les interprétations de ces deux aspects (Jupiter apportant du "liant" dans les affaires marsiennes là où Uranus apporte de la "rupture"). Est-ce à dire que l’origine de la "contradiction" se trouverait entre les mots, les formules, les expressions que nous utilisons pour qualifier ces configurations — et non entre les planètes elle-mêmes ? En d'autres termes : ces contradictions sont-elles des effets émergents de l’interprétation — les mots que nous utilisons étant impuissants à dire avec assez de finesse et de précision ce qui se joue dans le ciel ?

Cela n'est pas évident non plus. Rien n’interdit de penser que ce sont les planètes qui se contredisent, qui « ne sont pas d’accord entre elles ». On présente souvent les planètes comme des couples aux "valeurs" opposées : Mars et Vénus, Jupiter et Saturne, Soleil et Lune10, qui s’opposeraient dans leurs principes et leurs effets. La mythologie ancienne va dans le même sens11 : les histoires des dieux sont remplies de guerres fratricides, parricides, etc. Si nous avons des raisons de croire que la mythologie nous parle avant tout de l’âme humaine, alors nous avons aussi des raisons de croire que les planètes peuvent "se faire la guerre". Dans le ciel ? Ou en nous ?

Le thème (ou la personnalité) comme "implexe de tendances disparates"

L'idée que la contradiction soit en nous a quelque chose de fécond. Elle va dans le sens d’une image de la personnalité à laquelle nous sommes et nous ne sommes pas habitués : celle d’un sujet divisé, dont l’équilibre ou l’unité intérieurs ne sont pas « garantis ». C'est dans ce sens qu’ont pensé les (psych)analystes. Si on accepte le postulat d’une division du sujet, alors on peut adresser notre question de la synthèse par un autre côté et se demander : la personnalité est-elle une synthèse ?

Cette question de psychologie très générale a reçu des réponses philosophiques variées au cours du temps12. Schématiquement, les anglo-saxons ont eu plutôt tendance à se représenter la "personnalité" comme flux hétérogène, et les continentaux ont préféré y chercher un "siège", une "essence", une "structure", etc.13.

La définition du thème astral que je vais donner maintenant pourrait mettre « tout le monde d'accord ». Elle nous vient du théoricien français de l’astrologie P. Guinard, s’inspirant d’une locution de Paul Valéry :

Un thème astral est un implexe14 de tendances disparates.

Cette définition va d'abord à l’encontre d’une représentation unitaire de la personnalité. Notre personnalité ne serait pas « une » mais « multiple », sujette à « variation », à disparité (elle s’exprimerait par exemple différemment dans différentes situations, leur variété, leur contingence15).

Mais cette définition a une autre versant : le mystérieux terme « implexe » évoque, cette fois, au contraire, l’unité et la « synthèse »16. « Implexe » suggère « complexe » — l’actualité en moins. Implexe serait le complexe qui n'est pas encore actuel, qui est encore replié dans la potentialité. On pourrait donc cette fois associer ce terme à la personnalité ou au caractère, en tant qu'ils transcendent l’expérience17 et qui, à la rigueur, sont introuvables dans la vie de l’individu18

Mais il faut essayer de maintenir les deux bouts ensemble : la personnalité comme implexe et comme disparate, à la fois unitaire et multiple. Je ne crois pas que ce serait faire preuve d’inconsistance ou d’illogisme. Au contraire. Une chose peut tout à fait être une sous un certain jour, et multiple sous un autre. Cette image de la personnalité correspond plutôt bien à la manière dont nous la vivons19.

Une approche exclusivement analytique du thème astral ?

Quelles conséquences pour l’interprétation astrologique ?
Si la synthèse est « improbable », la dominante « impondérable », si la personnalité est bien un « implexe de tendances disparates » et que nous sommes des êtres intérieurement divisés et contradictoires, il est tentant de laisser (provisoirement) de côté la synthèse, de laisser irrésolues les contradictions rencontrées, et de maintenir une ligne d’interprétation exclusivement analytique.

Ce que nous pouvons faire, par contre, c’est relever ces contradictions.

Rappel : comme je le précisais au début de l’article, je placais cette réflexion dans le cadre d’une astrologie « objective » (interprétation d’un thème « en aveugle », sans interaction avec le « natif »)20.

Évidemment, ce n’est pas de cette façon qu'on pratique l’astrologie (généralement). L’interaction avec le client, dans la pratique, est essentielle. Mais la question de l’« objectivité » de l’astrologie est un sujet qu'on ne peut pas, non plus, ne pas aborder, en tant qu’astrologue. La pression socio-idéologique nous y contraint régulièrement.

L’approche analytique est à mon avis une manière pour envisager de répondre à cette « pression », et aussi une manière intéressante, il me semble, d’envisager la pratique de la consultation. L'astrologue a peut-être moins à se risquer à faire des synthèses qu'à pointer des contradictions potentielles, et les soumettre à son « client ».

Notes de bas de page:

1

L’expression "thème astral" est ambiguë : elle renvoie indifféremment à la carte du ciel à la naissance et à son interprétation. Je tacherai de préciser là où c’est nécessaire.

2

Rappelons que chacune des dix "planètes"d’un thème astral est : située dans un (des douze) signe(s) ; située dans une (des douze) maison(s) ; reliée la plupart du temps par des aspects avec une ou plusieurs autres ; - maître d’une ou plusieurs maisons. Par suite, en tant que maître de maison, chaque planète est elle-même située dans une maison, dans un signe, en relation d’aspect avec d’autres planètes, qui sont elle-mêmes les maîtres d’autres maisons… Ce n'est pas tout : aux indications fournies par les configurations de ces dix "planètes", il faudrait au moins ajouter celles de l’Ascendant, du Milieu de Ciel, une analyse des éléments…

3

On pourrait dire que l’approche "objectiviste" inhérente à la démarche astro-psychologique — je reviendrai sur ce point — nous y incite. A l’opposé de cette démarche, la posture symbolique de Cornelius invite à une toute autre approche de la lecture du thème sous forme de prises (takes). J'en parlerai ailleurs.

4

Les astrologues utilisent des procédés plus ou moins élaborés pour établir cette dominante. L’ouvrage le plus complet en cette matière est peut-être celui de Tracy Marks, The Art of Chart Interpretation, 1986. Pour disposer d’une première approche synthétique d’un thème, S. Arroyo propose un procédé intéressant par sa simplicité, en retenant : signe solaire / signe de son maître, signe de l’ascendant / signe de son maître, et éventuellement la Lune, son signe et le signe de son maître

5

Le Senne établit une différence entre caractère et personnalité, qui correspond peut-être à celle du langage courant. Pour dire vite, le caractère est chez Le Senne le "noyau dur" et la personnalité, ce qui l’entoure. Dans ce sens, le caractère serait inamovible, alors que la personnalité se prêterait à ce que Le Senne appelle une "psycho-dialectique" où la "volonté" du sujet aurait droit de cité.

6

Dans son Traité, l’astrologue français André Barbault propose souvent des correspondances entre indicateurs astraux et formules de caractères de Le Senne.

7

Peut-être que l’astrologie est « la vérité » ultime de la caractérologie… En effet, les propriétés fondamentales retenues par la caractérologie sont « artificielles », alors que l’astrologie les puise ses « propriétés » dans « la nature » (planètes et « saisons »).

8

Plusieurs astrologues se sont aventurés dans la pondération chiffrée de la dominante. Dans ce domaine, ce qui a le plus retenu mon attention, c’est la méthode préconisée par Tracy Marks dans son ouvrage The Art of Chart Interpretation, 1986.

9

Évidemment, la situation est très différente dans le cadre d’une consultation physique directe, où l’échange permet d’évaluer les choses d’une autre façon.

10

L’affaire devient plus délicate avec les trans-saturniennes.

11

La mythologie est une source inépuisable de compréhension psychologique. N’oublions pas d’où vient le complexe d’Oedipe, qui a un tel succès dans la psychologie moderne. D'autre part, la mythologie intéresse l’astrologue pour une raison cruciale, c’est que l’astrologie archaïque est indissociable des symboles mythologiques.

12

À condition de prendre le terme "personnalité" dans un sens très large, et d'y entendre des notions connexes, "d’identité" ou de "conscience", voire de "sujet".

13

Ce qui est cohérent avec le fait historique que les anglo-saxons parlent de personnalité quand les continentaux parlent de caractérologie. Les anglo-saxons seraient plus "mutables" et les continentaux plus "fixes"…

14

Valéry : « Implexe, c’est au fond ce qui est impliqué dans la notion d’homme ou de moi et qui n’est pas encore actuel  » (Paul Valéry, Cahiers 1, Psychologie, p.1081, éd. Pléiade).

15

Disparité qui fait penser au « dessin » du thème lui-même, une forme géométrique souvent « biscornue », qui tire dans de multiples directions.

16

La définition proposée par le CNRTL — "ensemble complexe résultant de la combinaison d'éléments divers et contradictoires" ne fait que redoubler le "disparate" de notre définition et explique mal le propre de l’implexe.

17

Il faut tout un apprentissage pour nous conduire à reconnaître l’existence de notre propre caractère !

18

Heidegger a forgé un terme pour dire le "niveau" où s’analyse l’existence, et qui en même temps, pourrait-on dire, y commande : le terme existential (par opposition à existentiel). De ce point de vue, le thème astral serait de l’ordre de l’existential. Ce qui correspond à l’expérience générale de l’astrologue lui donne à voir le thème comme quelque chose qui gouverne en sous-main, oriente, ou mieux — thématise — la multiplicité vécue par le sujet.

19

Voir « qu'est-ce que la personnalité ? »

20

Beaucoup pensent (surtout parmi les adversaires de l’astrologie — mais avec une certaine raison) que l’astrologie, si elle « marchait », devrait pouvoir fournir des indications « vraies » à partir du seul objet thème astral, sans lien aucun avec le sujet humain dont elle parle. À première vue, on aurait des raisons de se montrer dubitatif si l’astrologue proclamait que son art de lire dans les étoiles ne « marchait » que derrière le « rideau » du cabinet de consultation. Mais c’est peut-être mal comprendre l’astrologie, et ce qui se passe entre un astrologue et son client. Je crois qu'il faut distinguer soigneusement entre astrologie objective et astrologie subjective. Je crois aussi que l’astrologie peut prêter le flanc à une approche objectiviste, avec un certain succès. Mais qu'elle dépasse aussi largement le tamis que les « scientifiques » veulent lui imposer.